La référence
L'article et le commentaire
L’année qui vient de s’écouler a vu la disparition, à 83 ans, du Canadien Krishna Kumar, pionnier de la stimulation médullaire épidurale. Au travers de son dernier éditorial paru tout récemment dans Pain Management, la revue de presse de ce mois est l’occasion de lui rendre hommage.
Le chirurgien de l’Université du Saskatchewan nous rappelle que la douleur neuropathique (DN) est une maladie en soi ayant un important retentissement psychosocial dont la prévalence est d’environ 8-9% en Amérique du Nord 1. Face à cette douleur répondant mal aux traitements pharmacologiques et chirurgicaux, la stimulation de la moelle épinière (SME) paraît être la seule option de « traitement viable ». Kumar précise que l'utilisation de la SME est aujourd’hui soutenue par des essais contrôlés randomisés, des méta-analyses, des études de coût-efficacité et que ses atouts résident dans sa réversibilité, ses faibles risques, et son adaptabilité. Des avantages qui se traduisent par un soulagement de la douleur, une amélioration de l’état fonctionnel, de la qualité de vie ainsi qu’une réduction des coûts de santé 2-5 .
Il existe dorénavant un large consensus parmi les experts, estime le neurochirurgien, pour considérer que la SME devrait être proposée aux patients souffrant de douleurs neuropathiques ne répondant peu ou pas aux traitements conventionnels, cela après un délai de 12 à 16 semaines. Il a en effet été démontré que l'efficacité du traitement par SME dépendait de la précocité de l’implantation. Les taux de réussite dépassement 80% lorsque l'implantation intervient dans les 2 ans de l'apparition des symptômes contre 5% chez les malades implantés 20 ans après l'apparition de cette douleur 6-9 . Des données qui révèlent qu’une attente de 5,45 années se traduit par un taux de succès à long terme de 47% 6,9 . L’analyse indique que les patients sont confrontés, à chaque étape de la chaîne de traitement, à des retards importants dans l'accès à la SME. Généralement, les patients consultent leur médecin traitant seulement 3,4 mois après le développement d’une DN. Les médecins de famille prennent alors en charge ces malades durant 11,9 mois avant de passer la main. Le retard le plus important survient dans la prise en charge spécialisée qui dure 39,8 mois supplémentaires. Des écarts importants sont constatés suivant le spécialiste consulté. Au travers de ces chiffres, Kumar, déplore que le dogme — erroné — de la SME comme « traitement de la dernière chance » soit encore vivace chez nos confrères cela en dépit de preuves accablantes démontrant le contraire.
Il ajoute que si l’accès rapide à un traitement efficace est primordial 7,10 , c’est loin d’être le cas avec la SME. L'Association Internationale pour l'Etude de la Douleur (IASP) préconise que les temps d'attente pour l'évaluation par un spécialiste de la douleur ne soit pas supérieur à huit semaines 6,9 . Des recommandations qui, si elles étaient adoptées, ferait chuter le temps d'attente d’une SME. Le recours à des critères de sélection augmenterait la vitesse d’accès à la SME. Une indication précoce — et à bon escient — de la SME permettrait ainsi d'améliorer la restauration fonctionnelle et donc le retour au travail.
Malgré des preuves solides, le recours à la SME demeure désespérément bas, regrette Kumar. Une analyse rétrospective portant sur 16 455 patients souffrant de FBSS a montré que 2,4% des patients se sont vus proposés une SME tandis que 97,6% ont été réopéré 11 . Ainsi, trop souvent, le candidat idéal à une SME se voit ballotté entre des gestes de réintervention chirurgicaux et de long cycle médicamenteux.
Ce constat regrettable s’explique, en partie, par une mauvaise information du Public. Selon une enquête européenne récente, 61% des patients implantés n’ont jamais entendu parler de la SME 12. En outre, il est apparu que 87% de ces patients ont expérimenté au moins quatre prises en charge différentes avant que la possibilité d’une SME ne soit évoquée. Parmi les malades informées de l’existence de la SME, quelques-uns l’ont été par leur médecin traitant ou spécialiste, mais la majorité grâce à la télévision ou Internet 12,13 .
Kumar ajoute que de récentes études d’imagerie fonctionnelle démontraient que la douleur chronique accélérait l’atrophie de la matière grise (perte de 1,3 cm3 par an, soit 5 à 11% de volume par an) 14. Cela suggérerait, selon lui, que la douleur chronique se comporte comme un trouble neurodégénératif et renforce l’idée d’une implantation précoce.
Même si le fardeau de la douleur chronique ne cesse de croître, la recherche dans ce domaine n’est guère une priorité. Une analyse des financements par le NIH a révélé que les crédits pour la recherche sur la douleur ont diminué en moyenne de 9,4% par an entre 2003 et 2007. Le budget total NIH alloué à la recherche contre la douleur est tombé à 0,61% en 2007 15.
Le neurochirurgien canadien conclut son dernier article en expliquant qu’un recours précoce à la SME améliorerait les résultats fonctionnels et peut-être, aussi, cette atrophie cérébrale — tant redoutée — qui serait favorisée par la douleur chronique.
Bibliographie
1. Yawn BP, Wollan PC, Weingarten TN, Watson JC, Hooten WM, Melton LJ, 3rd. The prevalence of neuropathic pain: clinical evaluation compared with screening tools in a community population. Pain Med. 2009;10(3):586-593.
2. Kumar K, Taylor RS, Jacques L, et al. The effects of spinal cord stimulation in neuropathic pain are sustained: a 24-month follow-up of the prospective randomized controlled multicenter trial of the effectiveness of spinal cord stimulation. Neurosurgery. 2008;63(4):762-770; discussion 770.
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15. Bradshaw DH, Empy C, Davis P, et al. Trends in funding for research on pain: a report on the National Institutes Of Health grant awards over the years 2003 to 2007. J Pain. 2008;9(12):1077-1087, 1087.e1071-1078.
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