Moduler l’activité des neurones comme avec une technique de stimulation cérébrale profonde, mais sans ouverture du crâne ni anesthésie, grâce à un aimant externe. Quasi inconnue au début des années 1990, la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) est en pleine explosion. Cette méthode, d’autant plus séduisante qu’elle est atraumatique, est désormais testée dans de nombreuses applications en neurologie et en psychiatrie : accident vasculaire cérébral, dépression, schizophrénie, douleurs chroniques, état de stress post-traumatique, addictions… Elle serait même capable d’améliorer les performances intellectuelles, selon des études menées ces dernières années. Une possibilité qui fait fantasmer, mais soulève aussi les questions éthiques et philosophiques de la neuro-augmentation (neuro-enhancement).
Le principe de la rTMS est d’appliquer au contact du scalp une bobine qui émet un champ électromagnétique puissant, focalisé sur une petite surface, de l’ordre d’un centimètre carré. Les impulsions magnétiques sont transformées en impulsions électriques permettant, selon la fréquence utilisée, de stimuler ou d’inhiber les circuits neuronaux visés. Une basse fréquence (inférieure à 1 Hz) induit une inhibition, une fréquence élevée (supérieure à 5 Hz) une stimulation.
En pratique, l’opérateur délivre des trains d’impulsions de quelques secondes, séparés par des pauses. Au total, plusieurs centaines à plusieurs milliers d’impulsions sont délivrées lors d’une séance, sans douleur ou quasiment pour le patient.
Contrairement à la stimulation cérébrale profonde, où l’activité des neurones est directement modulée par les électrodes implantées, la rTMS agit indirectement sur les cellules nerveuses, après avoir traversé la peau, l’os et les méninges. Les effets se concentrent principalement au niveau de la couche la plus superficielle du cerveau, le cortex. En pratique, le courant électrique ne peut cependant guère pénétrer au delà de deux centimètres de profondeur.
Un système de neuronavigation - une sorte de GPS permettant de s’orienter à la surface crâne en devinant les zone du cortex sous-jacent- peut être employé pour repérer la zone à stimuler. Différents systèmes ont été testés, qui font appel à une IRM cérébrale. « De nombreuses études ont utilisé la TMS de façon empirique pour stimuler le cerveau, en observant les effets comportementaux que produisaient les stimulations. L’association de l’imagerie cérébrale et de la TMS permet d’approfondir la compréhension de la physiologie de ces effets et d’agir de façon plus précise sur les fonctions que l’on cherche à modifier » , résume Marie-Laure Paillère-Martinot, coauteur d’un livre de référence sur cette technique,
une technique moderne, dont les possibilités sont encore loin d’être explorées, elle trouve ses racines dans le principe de l’induction électromagnétique décrit en 1831 par le britannique Michael Faraday, à l’issue d’une série d’expériences.
Il faudra cependant attendre plus d’un demi siècle après la découverte de ce physicien et chimiste pour voir s’esquisser une première application au niveau du cerveau.
En 1896, Jacques Arsène d’Arsonval, médecin et fondateur de l’école supérieure d’électricité de Paris, convainct des volontaires d’introduire leur tête dans une puissante bobine magnétique. Il déclenche ainsi des magnétophosphènes, c’est à dire des phosphènes (sensation de lumière ou de taches dans le champ visuel), des vertiges voire même des syncopes. « Ces résultats furent répliqués, entre autres, en 1902 par Bertholg Beer à Vienne (qui, avec Adrian Pollacsek, propose d’utiliser la stimulation magnétique pour le traitement de la « dépression et des névroses » par passage des vibrations dans le crâne), puis en 1910, par Silvanus Thompson qui réalise un travail similaire en exposant la tête de volontaires à des variations de champ magnétique atteignant 140 mTesla à 50 Hz » note Christophe Daudet, toujours dans l’ouvrage de référence sur la rTMS .
Ironie de l’histoire, il paraît aujourd’hui vraisemblable que les magnétophosphènes et plus particulièrement les phosphènes observés à l’époque n’étaient pas dus à la stimulation du cortex visuel mais à celle de la rétine –bien plus sensible aux courants induits que le cerveau.
L’acte de naissance de la TMS moderne est lui beaucoup plus récent. Le 12 février 1985, en appliquant au contact du scalp une bobine ronde, plus puissante que les modèles précédents, Anthony Barker et ses collègues de l’hôpital royal de Sheffield (Angleterre) réussissent à obtenir une contraction musculaire des deux mains. Le résultat est publié dans la foulée puis présenté dans des congrès. « Très rapidement, le groupe de Sheffield est approché par d’autres équipes de recherche désireuses d’évaluer cette nouvelle technique clinique. Un nouveau stimulateur adapté à une utilisation clinique courante est développé : les cinq premiers stimulateurs sont construits… » .
Ces premiers appareils sont lents et leurs bobines sensibles à la surchauffe, mais après la stimulation du cortex moteur, ils permettent celle des cortex visuel, somato-sensoriel et auditif, produisant ainsi des illusions de perception sensorielle ! Une prouesse !
Avec le développement de bobines en huit -permettant une concentration du champ sur une petite surface- et d’autres progrès technologiques, des applications thérapeutiques commencent à voir le jour.
Les dépressions résistantes aux antidépresseurs sont aujourd’hui l’une des principales indications de cette approche. Aux Etats-Unis, la rTMS a été validée dès 1998 par la Food and Drug Administration, équivalent de notre agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Le traitement des dépressions résistantes par la rTMS est également approuvé par les autorités sanitaires au Canada, en Australie, en Nouvelle Zélande et dans des pays européens. En France, cette stratégie est proposée surtout dans des centres hospitaliers, mais sa place dans le traitement de la dépression n’est pas complètement reconnue. Fin 2015, elle était toujours considérée comme en évaluation, et non prise en charge par l’Assurance maladie…
Dans ce cadre du traitement des dépressions, les séances durent entre 20 et 40 minutes, elles sont pratiquées 5 jours par semaine pendant six semaines. « Dans les essais ouverts [sans comparaison avec un placebo ou un autre traitement NDLR], un patient sur deux a une réduction des symptômes d’au moins 50% après 4 à 6 semaines de traitement, et un sur trois est en rémission. Les effets sont moindres chez les patients avec une résistance à beaucoup d’antidépresseurs », précise Ian Cook, sur le site de l’International modulation society.
La durée d’efficacité d’une cure serait d’au moins six mois.
En dehors de certains dispositifs intracrâniens (comme des électrodes cérébrales profondes) ou proches de la bobine (implants cochléaires principalement), les contre-indications sont quasi inexistantes. Quant aux effets secondaires, ils semblent peu fréquents et le plus souvent bénins. Le principal risque est celui d’une crise d’épilepsie, qui survient chez environ un patient sur mille. Cette complication est plus fréquente en cas d’antécédent de crise convulsive et à haute fréquence.
Outre les dépressions, bien d’autres indications sont à l’étude, à des stades plus ou moins avancés.
Dans la schizophrénie, la rTMS a été proposée comme alternative aux antipsychotiques pour les hallucinations, en particulier auditives. Mais une revue de la littérature (soit 41 études randomisées contrôlées incluant au total près de 1500 participants) réalisée récemment par la collaboration Cochrane conclut « qu’à ce jour, il n'existe pas de preuve solide pour étayer l'utilisation de la stimulation magnétique transcrânienne pour traiter la schizophrénie”.
Pour les douleurs chroniques, la rTMS “permet, à court terme, de soulager près d’un patient sur deux réfractaire ou intolérant aux traitements pharmacologiques. Les études en cours devraient permettre une meilleure définition de la zone corticale à stimuler, de la fréquence de stimulation et de la périodicité des séances, afin d’obtenir une efficacité plus importante et surtout plus durable” note Xavier Moisset du service de neurologie du CHU de Clermont Ferrand 193. En 2008, une équipe a rapporté les effets bénéfiques sur des symptômes anorexiques d’une rTMS pratiquée dans le cadre d’une dépression. Depuis, quelques autres patientes ont été traitées, avec de résultats semble-t-il modestes. En août 2015, une étude a commencé à Denver (Colorado), qui prévoit d’inclure 128 patientes avec une anorexie ou une boulimie ; pour évaluer les effets de la rtMS et d’une technique proche, la stimulation transcraniale par courant direct (tDCS). La durée prévue est de trois ans.
Une équipe canadienne conduit de son côté une étude auprès de 27 civils atteints d’état de stress post traumatique (EPST). Contrairement aux essais de stimulation cérébrale profonde, la cible n’est pas l’hippocampe car cette structure est trop profonde pour être atteinte par la rTMS. Les Canadiens stimulent le cortex préfrontal dorsolatéral droit, une structure impliquée dans les sentiments négatifs (tristesse...).
Parallèlement aux recherches cliniques pour évaluer l’intérêt de la rTMS dans ces pathologies neuropsychiatriques (auxquelles il faut rajouter celles pour les accidents vasculaires cérébraux, les addictions…), des scientifiques ont imaginé dès les années 2000 que cette approche pourrait aussi être utilisée pour augmenter les capacités et les performances de cerveaux normaux.
Allan Snyder, directeur du centre de l’esprit (université de Sydney, Australie), a ainsi mené de nombreuses études en ce sens. Selon ce neuroscientifique d’origine américaine, les capacités cérébrales impressionnantes des autistes de haut niveau (par exemple en calcul mental) sont en fait présentes à l’état latent, inconscient, chez tout un chacun. Mais elles ne pourraient s’exprimer et devenir conscientes qu’en présence d’un phénomène de désinhibition corticale ou d’un déséquilibre entre les deux hémisphères cérébraux comme c’est le cas dans l’autisme de haut niveau ou lors de certaines lésions cérébrales.
Partant de cette hypothèse, le neuroscientifique a cherché à reproduire de façon artificielle chez des individus lambda les performances de cerveaux savants, grâce des stimulations cérébrales.
En 2003, Snyder a ainsi eu recours à une rTMS à basse fréquence chez une dizaine d’individus droitiers, pour étudier ses effets sur leurs capacités à dessiner. L’objectif était d’inhiber la partie antérieure du lobe temporal gauche – impliquée dans la conceptualisation et la catégorisation, et hypoactive dans l’autisme-, et d’augmenter ainsi l’activité cérébrale dans l’hémisphère droit, dont le rôle est en principe le plus important dans la créativité.
A plusieurs reprises (avant la rTMS, pendant la séance, immédiatement après puis 45 minutes après la fin de celle-ci), les participants disposaient d’une minute pour dessiner un chien, un cheval ou un visage. La démonstration a été plutôt réussie.
Quatre des onze volontaires ont vu leurs talents de dessinateur transitoirement mais indéniablement augmenté par les 15 minutes de rTMS. Aucune amélioration n’était en revanche constatée après simulation factice, effectuée chez quelques participants.
Ces résultats ont été publiés dans une revue spécialisée 194. Quelques années plus tard, Snyder a fait une expérience proche en utilisant la rTMS dans le but de booster la numérosité, un don étrange défini comme la capacité à évaluer précisément un nombre d'éléments présents dans un ensemble, sans passer par une étape du comptage.
Dans son célèbre ouvrage L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau 195 le neurologue britannique Oliver Sacks avait ainsi décrit des jumeaux autistes qui s’étaient montré capables de deviner le nombre exact d' allumettes qui venaient de tomber sur le sol, en disant à l'unisson "111". S’inspirant de cette anecdote , Snyder et ses collègues ont appliqué une rTMS à douze individus pour évaluer si elle avait une quelconque efficacité sur leur numérosité. Ces cobayes devaient deviner le nombre exact de tâches projetées sur un écran (entre 50 et 150 au total) pendant 1,5 seconde, un temps bien sûr insuffisant pour leur permettre de compter un à un les éléments.
Les performances aux tests se sont améliorées chez dix de ces douze volontaires juste après la stimulation… avant de se détériorer dans l’heure qui suivait. Un succès éphémère mais qui, selon l’équipe de Snyder a peu de chances d’être du au hasard, d’autant que les simulations factices effectuées chez quelques participants n’ont elles eu aucun effet 194.
Plus récemment, cette même équipe a rapporté une augmentation -de l’ordre de 10%- de la mémoire spatiale avec une autre méthode de stimulation cérébrale non invasive: la stimulation transcrânienne à courant direct ou tDCS. “C’est la première démonstration que la mémoire visuelle peut être améliorée chez des sujets sains avec une stimulation cérébrale non invasive” soulignent Snyder et ses collègues dans leur article, publié en 2010 dans la revue Brain Research 196.
En cours d’évaluation grosso modo dans les mêmes indications que la rTMS, la tDCS consiste à moduler l’activité cérébrale en appliquant un courant continu de faible intensité par des électrodes posées sur la tête.
Grâce à cette même technique, l’équipe britannique de Roi Cohen Kadosh (université d’Oxford) a de son côté réussi à stimuler les compétences numériques d’individus pendant une période remarquablement longue: six mois 197. En 2013, le chercheur britannique a confirmé cette possibilité de perfectionner les capacités arithmétiques lors d’expériences chez 25 volontaires. Pendant 5 jours, tous ont eu un entraînement cognitif intensif de type calcul mental. La moitié du groupe a reçu en plus une neurostimulation, avec un appareil de type tDCS. Ces derniers se sont montrés plus performants dans les taches de calcul, et le restaient six mois plus tard 198. En quelques années, ces techniques de stimulation cognitive ont ouvert des perspectives inespérées. Vertigineuses presque.
“Chez le sujet non malade, les données s’accumulent (plus de 200 études à ce jour) suggérant la possibilité d’améliorer les performances cognitives et l’état émotionnel, estimait fin 2013 le comité national consultatif d’éthique (CCNE), consacré au recours aux techniques biomédicales en vue de « neuro-amélioration » chez la personne non malade. En étudiant la littérature scientifique, le CCNE a même détaillé la liste impressionnante des résultats obtenus :
« Pour les capacités cognitives, ont été observées une facilitation de l’apprentissage moteur, somato-sensoriel, visuo-perceptif, du langage, une amélioration de la mémoire de travail verbal, visuo-spatiale ou émotionnelle, de l’attention, de la compréhension des chiffres, des capacités graphiques et des fonctions exécutives. La réalisation de tâches moins simples comme l’apprentissage de classification statistique, la résolution de problèmes complexes, la prise de décision en situation difficile ont également pu être modulées. L’état émotionnel et l’humeur peuvent aussi être modifiés, notamment par la stimulation du cortex pré-frontal. Divers aspects de la cognition sociale ont pu être modifiés comme le jugement moral, l’intentionnalité, le discernement, l’altruisme, le sentiment d’injustice ou encore les attitudes mensongères ou dissimulatrices qui peuvent être facilitées ou réprimées selon les paramètres de stimulation du cortex pré-frontal. Les effets observés sont temporaires, la stimulation étant appliquée juste avant la tâche à exécuter ou pendant celle-ci, mais des effets de quelques semaines ont été obtenus soit par stimulation magnétique transcrânienne « répétitive », soit par allongement de la durée de la stimulation électrique transcrânienne directe ».
Quelle sera l’avenir de ces méthodes pour doper nos cerveaux, et ceux de nos enfants ? La question est désormais concrètement posée, d’autant que contrairement à la rTMS, qui nécessite des appareils puissants et coûteux, des appareils de stimulation transcrânienne à courant direct (tDCS) peuvent être facilement fabriqués par des bricoleurs (le do it yourself des anglo-saxons) ou être achetés sur internet pour quelques centaines d’euros ou de dollars.
Aux Etats-Unis, la situation est paradoxale, comme le souligne Ana Wexler, du Massachussets Institute of Technology (MIT) 199. Actuellement, la tDCS n’est pas approuvée par les autorités américaines (Food and Drug Administration) comme un traitement médical. Les chercheurs qui souhaitent l’étudier peuvent se procurer l’appareil pour quelques milliers de dollars auprès des deux fabricants répertoriés. Parallèlement, des dispositifs destinés aux consommateurs sont en vente libre, sans aucune régulation. Ana Wexler a ainsi recensé plus d’une demi douzaine de firmes commerciales qui en proposent pour des tarifs très accessibles : de 50 à 300 dollars. Et le succès semble au rendez-vous. Ainsi, selon la scientifique du MIT, la start-up Thync a levé pas moins de 13 millions de dollars en octobre 2014. Cette société commercialise désormais un stimulateur à 200 dollars piloté par un smartphone qui permet, selon les cas de se faire délivrer des vibrations qui calment ou qui énergisent… Un exemple parmi d’autres. Aux Etats-Unis, un nombre croissant d’individus s’équiperaient de ces dispositifs pour s’automédiquer ou augmenter leurs performances. Une mode qui va probablement s’étendre dans le reste du monde.
En France, la start up Rythm développe un bandeau connecté, nommé Dreem, qui vise à améliorer la qualité du sommeil. Imaginé par deux jeunes ingénieurs, le dispositif enregistre les ondes cérébrales de l’utilisateur (grâce à de discrètes électrodes proches de celles utilisées pour les électroencéphalogrammes classiques), et les analyse en continu. Le logiciel détecte ainsi les différentes phases de sommeil, léger et profond, ce qui permet d’ augmenter la durée du sommeil profond (le plus réparateur) grâce à des stimulations sonores, transmises par conduction osseuse. Jusqu’ici, la start up n’a guère publié de résultats dans une revue scientifique, mais elle a déjà reçu plusieurs prix d’innovation, et levé plus de dix millions d’euros auprès d’investisseurs.
Arsène d'Arsonval décrit le premier, en 1896 [285], les effets de la stimulation magnétique sur le cortex cérébral. Puis c’est au tour de Magnuson et Stevens, en 1914, de déclencher des phosphènes chez un sujet dont la tête était plongée à l’intérieur d'une bobine alimentée par un condensateur [286]. En 1980, Merton et Morton stimulent le cortex moteur et obtiennent une réponse motrice, mais au prix de douleurs qui rendent la technique pénible. Cinq années plus tard, Barker [272] modifiera les paramètres de stimulation pour rendre la procédure indolore et, dès lors, la stimulation sera expérimentée, à visée diagnostique et thérapeutique, dans de multiples affections neurologiques. Cette technique non invasive consiste à appliquer, à l’aide d’une bobine, un champ magnétique sur l'encéphale à travers le cuir chevelu. Selon la loi de Faraday, une variation rapide du champ magnétique induit ainsi un champ électrique (fig. 72) qui modifie l'activité des neurones de la région prise pour cible, et active ou inhibe des aires corticales, selon les paramètres de stimulation. Ainsi, une fréquence lente, inférieure à 1 Hz, est supposée avoir un effet inhibiteur sur l’activité neuronale, tandis qu’elle devient excitatrice avec une fréquence dépassant les 5 à 20 Hz.
Dans la dépression sévère, les études d’imagerie fonctionnelle révèlent une faible activité du cortex préfrontal dorsolatéral qui se traduit, cliniquement, par un tableau de ralentissement psychomoteur associant des symptômes comme l’apathie, les troubles mnésiques ou le déficit attentionnel. On connaît les connexions de cette zone du cortex avec le gyrus cingulaire antérieur, lui aussi hypoactif, le cortex orbitofrontal et l’amygdale. Lors de la dépression, ces deux dernières structures ont un métabolisme modifié, ce qui pourrait expliquer, chez le sujet déprimé, la sensibilité accrue à la douleur, l’augmentation de l’anxiété via l’amygdale et une perte de la motivation liée au cortex orbitofrontal. Outre ces différences d’activité suivant les aires corticales, on observe également des différences selon le côté. Dans la maladie dépressive, le cortex dorsolatéral serait plus actif à droite qu’à gauche [240, 287]. La conséquence de cette différence d’activité selon la latéralité, au plan thérapeutique, peut être résumée ainsi : à gauche le cortex préfrontal dorsolatéral va être « réveillé » par une rTMS en mode excitateur, avec une fréquence de décharge électrique élevée, aux alentours de 5 à 20 Hz. À droite, le cortex dorsolatéral pourra également être pris pour cible, mais, du fait de son hyperactivité, c’est une rTMS en mode inhibiteur, de 0,5 à 1 Hz, qui sera requise. Lorsqu’une amélioration clinique est obtenue, on observe, toujours à l’imagerie fonctionnelle, une normalisation de l’activité du cortex dorsolatéral, mais aussi un retour à la normale du cortex cingulaire antérieur et subgénual [288, 289].
Cette technique est non invasive et consiste en l’application d’une bobine électromagnétique, circulaire ou de la forme d’un « 8 », alimentée par un courant électrique qui, selon les principes de l’électromagnétisme, va créer un champ magnétique de 1 à 2,5 Tesla. Néanmoins, l’intensité de ce champ magnétique s’exprime plutôt en pourcentage : « 100 % » correspond à l’intensité nécessaire à la survenue d’un mouvement involontaire lorsque la bobine est appliquée en regard de la zone corticale du mouvement, c’est-à-dire l’aire motrice primaire . On parle de « seuil moteur ». En général, les équipes pratiquant la rTMS dans le traitement de la dépression prennent plus volontiers pour cible le cortex préfrontal dorsolatéral gauche . Elles utilisent alors des fréquences rapides, activatrices, avec une intensité s’échelonnant de 80 à 110 % du seuil moteur [290, 291].
Les résultats cliniques publiés portent, en règle générale, sur la stimulation rapide du cortex préfrontal dorsolatéral gauche et plus rarement sur la stimulation lente, à droite, ou sur l’association des deux [290]. Neuf méta-analyses ont été réalisées à partir de publications comparant la rTMS à une stimulation placebo, pour huit d’entre elles les résultats étaient en faveur de la rTMS [292-296]. Cette différence, significative, confirme l’efficacité de la rTMS dans le traitement de la dépression rebelle au traitement médicamenteux. Il ressort des différentes publications qu’un âge avancé ou une résistance pharmacologique comptent parmi les facteurs défavorables, tandis que l’existence d’un ralentissement psychomoteur marqué, une maladie récente ou des troubles du sommeil associés sont de bon augure. On admet qu’une vingtaine de séances sont nécessaires à l’amélioration clinique. Cette efficacité semble néanmoins transitoire, avec une durée moyenne de rémission qui avoisinerait les cent vingt jours [289]. Ce retour des symptômes dépressifs requiert des séances d’entretiens régulières. Ces résultats devraient être amenés à s’améliorer, au fil des ans, grâce, d’une part, à l’utilisation croissante de la neuronavigation qui permet de cibler plus précisément le cortex préfrontal dorsolatéral et, d’autre part, à l’optimisation des paramètres de stimulation comme le nombre de stimulations totales, la périodicité des séances et le réglage de la fréquence et de l’intensité. Il sera également nécessaire de mieux identifier les patients susceptibles de répondre favorablement, l’imagerie fonctionnelle pourrait y contribuer. Enfin, si les protocoles de stimulation rapide à gauche et lente à droite paraissent d’efficacité comparable, il est envisageable que l’un ou l’autre soit à privilégier selon les symptômes cliniques ou les données de l’imagerie fonctionnelle, ce qui recquiert aussi de nouveaux travaux. L’existence de comorbidités, tel le tabagisme, pourrait également entrer en ligne de compte, la rTMS pouvant contribuer au sevrage .
Jusqu’à présent aucune étude n'avait comparé l'efficacité de la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) et la stimulation transcrânienne à courant continu (tDCS) dans le traitement de la douleur neuropathique. Dans ce travail - randomisé en double-aveugle - l'efficacité de la rTMS à 10 Hz a été comparée à la tDCS anodique de 2mA du cortex moteur, controlatéral à la zone douloureuse, à raison de trois séances par jour chez les patients souffrant de douleur neuropathique due à des radiculopathies lombosacrées. L’intensité de la douleur moyenne - résultat primaire - a été évaluée après chaque session puis, cinq jours, plus tard. Les résultats secondaires incluaient les symptômes neuropathiques et les seuils de douleur thermique aux membres supérieurs. Des séances de rTMS actives ont alterné avec des séances fictives ¾ ou fantômes ¾ de même pour la tDCS. Pour chaque groupe (actif ou fictif) le type de traitement et l'ordre des sessions a été randomisés selon un plan croisé.
Au total, 51 patients ont été examinés et 35 (51% de femmes) randomisés. La rTMS active était supérieure à la tDCS active sur l'intensité de la douleur (F = 2,89; p = 0,023). La tDCS n’était pas supérieure à la stimulation fictive et ses effets analgésiques étaient corrélés à ceux de la rTMS (p = 0,046) ce qui pourrait suggérer des mécanismes d'action communs. La rTMS abaisse les seuils de douleur froide (p = 0,04) et cet effet est corrélé avec l’efficacité analgésique (p = 0,006). Cependant la rTMS n'a aucun impact sur la nature des symptômes neuropathiques.
Ainsi la rTMS apparaît plus efficace que la tDCS et les procédures fictives chez les patients souffrant de douleurs neuropathiques dues à des radiculopathies lombosacrées et peut moduler les dimensions sensorielles et affectives de la douleur.
Après les molécules ce sont maintenant au tour des techniques de stimulation d’être comparées entre elles, preuve que ces nouvelles procédures gagnent du terrain en algologie. On constate que si toutes deux sont efficaces l’avantage va à la rTMS. Mentionnons néanmoins que la tDCS est environ dix fois moins chère et d’une mise en œuvre plus aisée.
On regrette que les séances aient été conduites sur 3 jours au lieu d’une dizaine comme c’est habituellement le cas dans ce type d’étude, peut-être les résultats en auraient-ils été meilleurs notamment pour la tDCS ?
Dr Marc Lévêque
Une information plus exhaustive est disponible sur le site d'Actudouleurs auquel l'auteur contribue régulièrement
Andre-Obadia N, Mertens P, Lelekov-Boissard T, Afif A, Magnin M, Garcia-Larrea L (2014) Is life better after motor cortex stimulation for pain control? Results at long-term and their prediction by preoperative rTMS. Pain physician 17 (1): 53-62
L’effet positif — se définissant comme une réduction d’au moins 30 % de la douleur — de la stimulation du cortex moteur (SCM) a été reporté chez 55 à 64 % des patients. La stimulation magnétique corticale répétée (rTMS) est un facteur prédictif de l'effet de la SCM. Ces chiffres, néanmoins, se fondent sur une évaluation subjective de l’intensité de la douleur et n’ont pas été confirmés à long terme.
Cette étude a évalué le soulagement de la douleur à long terme (2-9 ans) après stimulation épidurale du cortex moteur ainsi que la prédictibilité de ce résultat par la rTMS préopératoire. Vingt patients souffrant de douleurs neuropathiques chroniques pharmaco-résistantes ont été étudiés.
Préalablement à la chirurgie, les patients ont été randomisé en deux bras : rTMS placébo versus rTMS active (20 Hz). Le soulagement de la douleur a ensuite évalué été à 6 mois jusqu'à 9 années après l’implantation (6,1 ± 2,6 ans) en utilisant : (i) le score de notation douleur numérique (ORA), (ii) une évaluation combinée (CPA) comprenant l’ORA, la prise de médicaments et la qualité de vie subjective ainsi que (iii) le questionnaire « HowRu » explorant l'inconfort, la détresse, l'incapacité et la dépendance.
Les scores de douleur étaient significativement diminués parmi les patients du bras rTMS active et suite à la SCM. Dix des 20 patients ont conservé un bénéfice à long terme de la SCM tant pour l’évaluation de la douleur que pour l’Évaluation Combinée. Ce score d’Evaluation Combiné était significativement corrélé (Fisher P = 0,02) avec 90% de valeur prédictive positive et 67% de valeur prédictive négative aux résultats de la rTMS préopératoire. Concernant le questionnaire« HowRu »l'amélioration apportée, à long terme, par la SCM concernait l’inconfort lié à la douleur physique ainsi que la perte d’autonomie dans les activités quotidiennes. En revanche s’agissant du handicap au travail, à domicile et lors des activités de loisirs on ne notait pas d’amélioration de même que pour l’anxiété, le stress et la dépression.
La moitié des patients conserve un avantage significatif après 2-9 ans de SMC continu. Une efficacité qui peut être raisonnablement prédite par la rTMS préopératoire. La prise de médicament et les scores de qualité de vie permettent une évaluation réaliste des avantages à long terme de la SCM et de la valeur prédictive de la rTMS.
Ce remarquable travail, soutenu notamment par une bourse de la SFETD, confirme l’efficacité de la stimulation du cortex moteur dans le traitement de douleurs d’origine thalamique ou médullaire, des neuropathies trigéminales ou des douleurs plexiques. Contrairement à d’autres études — n’allant pas au-delà de 3 ans — cette publication lyonnaise a le mérite d’offrir un véritable suivi à long terme, jusqu’à 9 ans et évalue ses résultats par une tierce personne indépendante de la l’équipe ayant posé l’indication.
Ce travail offre également une évaluation de l’efficacité de la stimulation ne se bornant pas, seulement, à l’intensité de la douleur. Les conséquences de cette amélioration sur la qualité de vie y sont également détaillées. Les limites — minimes — de cette étude résident, d’une part, dans l’inhomogénéité des pathologies douloureuses et, d’autre part, du caractère rétrospectif de l’évaluation de la qualité de vie en préopératoire.
Dr Marc Lévêque
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